QUI NOUS SOMMES

Frantz Fanon

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Frantz Fanon

Fanon naît en Martinique, colonie française, le 20 juillet 1925 dans une famille bourgeoise. Il fréquente le lycée où son professeur est Aimé Césaire (1913-2008), le célèbre poète de Cahier d’un retour au pays natal et du Discours sur le colonialisme, protagoniste du mouvement de la négritude.
 
Après avoir participé à la Seconde Guerre mondiale en combattant d’abord dans la Résistance britannique, puis dans la Résistance française, il s’inscrit à la faculté de médecine de Lyon, où il obtient son diplôme en 1951. L’année suivante, il commence à travailler comme psychiatre, d’abord à Saint-Alban – où Francisco Tosquelles, psychiatre catalan, expérimente les premières formes de désinstitutionnalisation (il est l’auteur du modèle de la « psychothérapie institutionnelle ») – puis, après son transfert en Algérie, à l’hôpital psychiatrique de Blida. Il peut y observer directement les conséquences dramatiques de l’oppression coloniale et les effets des tortures pratiquées par les forces françaises sur les militants du Front de libération nationale (FLN).

Au bout de trois ans, il démissionne, déclarant qu’il lui est impossible de concilier les objectifs thérapeutiques de sa profession avec le rôle social et politique qu’il est amené à jouer en tant qu’employé de l’administration coloniale. Par ce geste, Fanon commence à se confronter directement à ce qu’il ressent comme un besoin urgent d’agir, en s’engageant personnellement dans la lutte anticoloniale. En 1956, alors que la répression coloniale en Algérie devient particulièrement violente, il rejoint le Front de libération nationale et participe activement à la lutte. Ce choix lui coûte l’expulsion du pays par les autorités françaises, mais n’entrave en rien son engagement politique et sa formation dans le contexte de la guerre. Il s’installe ensuite à Tunis où il entame une intense activité diplomatique et politique. Membre de la rédaction de l’organe de presse du FLN, « El Moudjahid ». Il est ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) au Ghana, effectuant d’importantes missions dans certains États africains, rencontrant les protagonistes des luttes anticoloniales de ces années-là. Ayant échappé à plusieurs attentats, il meurt d’une leucémie à l’âge de 36 ans, le 6 décembre 1961, à Washington. Il est enterré au cimetière Chouhada, à Tunis, quelques mois avant la proclamation de l’indépendance.
 
Devenu célèbre dans les années 60 en tant que théoricien des mouvements de libération, Frantz Fanon a été un étudiant attentif des mécanismes d’aliénation mentale et culturelle caractéristiques de la « situation coloniale » (Balandier). Élevé dans les idéaux éclairés et universalistes de la culture française, il en vit personnellement les contradictions et les hypocrisies, offrant dans ses pages des intuitions éclairantes aujourd’hui reprises par les postcolonial studies et les subaltern studies (Said, Gilroy, Guha, Bhabha, Mbembe, etc.). Son analyse corrosive de certaines œuvres littéraires de l’époque et sa critique de certains travaux psychiatriques et psychanalytiques célèbres (de John Colin C. Carothers et Octave Mannoni, en particulier) le placent parmi les pionniers les plus perspicaces de ce courant d’études. Ses efforts, inspirés par la psychanalyse, la phénoménologie et le marxisme, n’épargnent personne, ni les bourgeoisies nationales qui émergent à l’aube des indépendances nationales, ni les intellectuels européens qui s’engagent pourtant dans la cause anticoloniale : « Pourquoi écrire ce livre ? Personne ne me l’avait demandé, encore moins ceux à qui il s’adresse. Alors ? Alors, je réponds sereinement qu’il y a trop d’imbéciles sur cette terre. Et puisque je le dis, il s’agit de le prouver » (Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952, Seuil). Ses écrits scrutent les zones d’ombre du contexte colonial, les ambivalences des colonisés (les soi-disant fantômes de « lacticisation » chez les personnes  noires), le double narcissisme des blancs comme des noirs (ce qui l’amènera à prendre ses distances avec le mouvement de la négritude), la reproduction des stéréotypes racistes dans les lieux mêmes de soins et dans les savoirs (la médecine et la psychiatrie, en premier lieu) qui ne cachent pas leur complicité avec la domination coloniale, même dans ses aspects les plus brutaux (Fanon dénonce le rôle des médecins dans les tortures). Parmi les thèmes centraux de sa pensée figure celui de la « reconnaissance » et la nécessité de ne pas être écrasé par le poids du passé : « L’analyse des catégories psychiatriques inventées au fil du temps pour classer, diagnostiquer et définir l’Autre culturel n’a toutefois pas seulement un intérêt historique : il faut en explorer la généalogie et les effets à long terme (le paradigme primitiviste, par exemple) afin de comprendre les racines des conflits épistémologiques contemporains et les controverses qui traversent l’ethnopsychiatrie contemporaine. En ouvrant ce nouvel horizon, plus précis sur le plan épistémologique et plus sensible sur le plan politique, l’œuvre de Frantz Fanon représente une étape décisive : avec lui, et dans les ouvrages qui seront bientôt publiés dans différents pays, on peut reconnaître (à côté de la critique de la psychiatrie coloniale) les origines d’une ethnopsychiatrie authentiquement autoréflexive (c’est-à-dire visant à considérer non seulement les modèles de maladie et de soins dans d’autres sociétés, ou l’influence de la culture sur le comportement, mais aussi les catégories de la psychiatrie occidentale, l’idéologie qui nourrit ses modèles et ses pratiques). Une psychiatrie capable de libérer l’homme, capable de le mettre à l’aise dans son environnement de vie, comme l’écrivait Fanon, ne pouvait toutefois pas être mise en œuvre dans un contexte caractérisé par la violence, la torture, l’aliénation, dans une situation comme celle de la colonisation qui voulait précisément nier l’humanité des colonisés. Le choix de Fanon témoigne de cette impossibilité » (Beneduce, Etnopsichiatria. Sofferenza mentale e alterità fra Storia, dominio e cultura, 2007, Carocci, Rome).

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